ASPCJE

11/12/16 - 60 ans après la crise de Suez (1956-2016) (2)

Les Juifs d’Egypte : histoire et mémoire 60 ans après la crise de Suez (1956-2016)

C’est sous ce titre que la Médiathèque de l’Alliance Israélite Universelle (AIU) en coopération avec
l’Association pour la Sauvegarde du Patrimoine Culturel des Juifs d’Egypte (ASPCJE) nous conviait
pour une après-midi le 11 décembre 2016 au Centre Edmond J. Safra (Paris 16ème).

Trois cent quinze personnes répondirent à cet appel. La salle ne pouvait en contenir plus !

Danan IMG 9966x200L’accueil du public est effectué par Ariel Danan, directeur-adjoint de la bibliothèque de l’Alliance.
C’est avec une certaine émotion qu’il ouvre cette séance qui est la dernière manifestation de ce type à avoir lieu dans cet espace. En effet, la bibliothèque de l’Alliance déménage de la rue La Bruyère vers ce Centre dès le mois prochain. Une nouvelle page se tourne pour ce site, qui vit la formation des enseignants de l’Ecole Normale Israélite Orientale, qui prodiguèrent ensuite leur savoir tout autour de la Méditerranée (y compris en Egypte).
Dirigé durant trente ans par Emmanuel Lévinas ; ce centre a été modernisé depuis six ans et va voir désormais son accès ouvert aux personnes venant consulter des documents et ouvrages sous forme numérisée. Cette numérisation d’archives est le coeur de la coopération entre l’ASPCJE et l’AIU qui effectue ce mode de conservation sur nos anciens documents
d’Egypte ; opération en cours d’achèvement mais qui nécessite encore des moyens financiers pour lesquels l’assistance de notre public est sollicitée.

Suez IMG 9972x200Notre après-midi commémorative commence par la projection d’un documentaire canadien relatant les différentes étapes de l’événement. Le point de départ est le discours de Gamal Abd el Nasser, sur le balcon de la Bourse d’Alexandrie, annonçant la mainmise de l’Egypte sur le Canal de Suez. Suivent alors les différentes conférences, les tractations franco-anglaises, puis tripartites avec Israël, l’opération militaire, les réactions des Etats-Unis et de l’Union Soviétique, le rôle de l’O.N.U.

Suez IMG 0003x200Ce film Suez IMG 9976x200canadien est un bon survol des actions politiques et militaires. Il insiste particulièrement sur le rôle de Lester Pearson, ministre des affaires étrangères du Canada, qui imagina le nouveau corps des Casques bleus, composé de soldats de pays neutres par rapport au conflit. Il occulte complètement les causes du conflit (refus de la Banque Mondiale, puis des Etats-Unis de financer la construction du Grand barrage d’Assouan donnant ainsi un prétexte à l’Egypte de se saisir de la source de revenus des péages du canal, crainte d’Israël pour sa survie face à une Egypte menaçante, support de la France vis-à-vis d’Israël et espoir de mettre fin à la guerre d’Algérie en se débarrassant de Nasser).
ronde1 IMG 0004x200Néanmoins, ce film pose le décor permettant le déroulement de la première Table Ronde.
Celle-ci, modérée par Ariel Danan, nous propose les points de vue de deux chercheurs. Le premier,
ronde1 IMG 0010x200Dario Miccoli, enseignant d’études juives à l’Université de Venise, a présenté une thèse d’Histoire sur les Juifs d’Egypte. Il se propose de nous décrire l’évolution de la Communauté juive d’Egypte au cours du 2ème tiers du XXème siècle. Celle-ci est riche d’environ 75000 personnes au début de cette période. Mais la situation politique qui va évoluer, aura un impact catastrophique sur cette population. Le contexte politique exerce une pression sur cette population aux nationalités multiples : égyptienne, étrangère sans compter une grande quantité d’apatrides. Nous sommes dans une période post-coloniale, où depuis la chute de l’empire ottoman, un certain nombre de juifs se retrouvent « flottants » donc sans nationalité. L’accession à la nationalité égyptienne s’est formalisée à partir de 1929. De sa position pharaonique (Egypte puissance particulière), elle va progressivement se teinter d’arabisme et voir croître l’influence de l’Islam (confrérie des Frères Musulmans fondée en1928). Le conflit avec Israël va accentuer la perception de juifs comme étrangers, puis de juifs comme sionistes.
Quelques dates jalonnent le phénomène de départ des juifs d’Egypte :
La guerre d’Israël en 1948. Elle est marquée par la confiscation de certains biens juifs et par l’arrestation de juifs au motif de sionisme ou de communisme. La monarchie cherche à marquer son autorité à ce moment, en faisant également arrêter des communistes non-juifs et des Frères Musulmans.
La révolution qui renverse la monarchie en 1952 et qui s’accompagne de mesures de confiscation agraire.
Dario Miccoli cite trois de ses interviews de juifs d’Egypte. Ce qui ressort est une sympathie pour Israël, la nécessité d’y émigrer quelques fois mais l’absence d’un grand mouvement d’Alyah.
Ces 2 événements vont pousser 23000 juifs à quitter l’Egypte (14000 vers Israël et 9000 en Europe, Amériques etc..)
L’affaire Lavon en 1954 et surtout la crise de Suez en 1956 suscitent le départ (expulsions en partie et effet de panique pour le reste) de 34000 juifs (15000 vers Israël et 19000 dans le reste du Monde) Simultanément, la nationalité égyptienne devient interdite aux juifs.
Enfin la guerre des 6 jours en 1967 fait partir 6000 juifs (1500 vers Israël et 4500 ailleurs) On peut dire à ce moment que l’Egypte s’est vidée de ses Juifs pour 90%.
Les séquestres, nationalisations et confiscations vont ponctuer les dates de 1948,52 et 56.
Aujourd’hui, les Juifs d’Egypte ne comptent plus qu’une ou deux dizaines de personnes.
ronde1 IMG 0022x200Michèle Baussant va compléter ce point de vue historique en prenant l’angle anthropologique :
Chercheuse au Centre de Recherche français de Jérusalem, elle s’est penchée sur l’aspect de « Migration de la Mémoire » pour regarder ce que sont devenus ces Juifs hors d’Egypte. Elle a mené son étude sur trois terrains : la France, Israël et les Etats-Unis. Elle a interrogé des personnes, des « êtres hors sol » qui recréent les lieux où ils sont nés et ont vécus, lieux qui existent toujours mais vides de personnes.
Le déracinement économique et social est très variable selon l’âge de départ d’Egypte des personnes interrogées. Ceux qui ont vécu plus de quarante ans de leur existence adulte en Egypte témoignent d’un passé de coexistence paisible et ont recréé un cadre social et religieux conservant un certain « entre-soi ». Les plus jeunes ne vivent l’exil qu’à travers les souvenirs de leurs parents. Selon l’endroit où ils sont arrivés, le mode d’adaptation est différent. La France a été choisie pour des questions de droits (passeport français ou « protégé français ») ou de culture, la culture et la langue française étant généralisées en Egypte avant 1956. De ce fait, l’intégration est souvent facile.
Pour ce qui est d’Israël où se sont fixés plus d’un tiers des Juifs d’Egypte (35580, chiffre du recensement de 1961) la situation est assez complexe. Le distinguo entre les différentes provenances d’immigrés des pays arabo-musulmans se fait assez tardivement.

ronde1 IMG 0057x200Une catégorie unique prévaut longtemps pour les Maaravim (ceux qui ne sont pas Ashkénazes) L’origine égyptienne est perçue comme stigmatisante. Les Juifs d’Egypte adoptent en général une certaine invisibilité, certains changeant leurs noms en les hébraïsant. Certains se reconnaissent comme des « Olim » participant à l’idéal sioniste et d’autres comme émigrés forcés par les circonstances de la situation politique.

L’Egypte est donc selon le cas, le pays de l’enfance ou de l’existence heureuse et dans d’autres cas un simple pays ennemi.
Enfin, Michèle Baussant nous parle de ses contacts aux Etats-Unis. Les Juifs y sont arrivés avec des visas d’immigration et une possibilité de travail immédiate et facile. La synagogue centrale de Brooklyn est un point de rattachement fondamental. Les cadres sociaux égyptiens se sont recréés sous le ciel newyorkais. La situation évolue ensuite au cours des années, du fait en particulier des mariages mixtes. La migration se fait vers Manhattan ou Great Neck, sans compter San-Francisco où est implantée une bonne partie des 30000 karaïtes d’Egypte. On constate d’ailleurs des conversions au Karaïsme, ce qui ne s’était pas vu depuis le XVème siècle !
Michèle Baussant conclut en mettant en lumière le paradoxe du ressenti du Juif exilé d’Egypte, vacillant entre détestation et nostalgie.

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D’une série de questions et commentaires sur ces deux tables-rondes ressort le témoignage d’un jeune participant (égyptien copte de 30 ans) qui déplore la politique d’oubli volontaire de la présence de Juifs en Egypte par les autorités et nous délivre une belle déclaration d’amour et d’espoir.




Kuper IMG 0170x200Avant que ne se déroule la deuxième table ronde, nous écoutons tour à tour Messieurs Kuperminc directeur de la Médiathèque de l’AIU, qui témoigne de sa solidarité et de sa compassion vis-à-vis des victimes du lâche attentat de ce jour contre une église copte d’Egypte et Danan, son adjoint, qui concluant les exposés de nos deux conférenciers fait le lien et la similitude des situations de départ sans retour, avec les autres communautés juives exilées des pays arabo-musulmans. 

cicurel IMG 0117x200Madame Ilana Cicurel, directrice générale de l’Alliance, rend tout d’abord hommage à l’ASPCJE, à ses membres fondateurs dont Jacques Hassoun z.a.l. Elle cite le projet mené en commun avec l’AIU sur la numérisation des archives des juifs d’Egypte. Elle nous fait part enfin, avec beaucoup d’émotion, de sa sympathie naturelle. Ses ascendants paternels ont, en effet été à l’origine d’institutions telles que la Banque Misr, ou du grand magasin Cicurel. Son père, venu en France a conservé jusqu’au bout sa situation d’apatride, signe de son attachement à l’Egypte perdue.
La deuxième table ronde est littéraire en contrepoint avec la première qui était sociologique. Paula Jacques entame le sujet en mettant en parallèle sa propre histoire et celle des personnages de ses romans. Touchée dès sa toute petite enfance par les événements tragiques d’Egypte (les émeutes et l’incendie du Caire de 1952) elle ressent de plein fouet la crise de Suez en 1956. A un court intervalle de temps, la politique fait irruption dans sa famille. L’entreprise de son père est mise sous séquestre.
Celui-ci décède peu après. Elle est séparée de sa famille et part en Israël avec son frère, tous deux pris en charge par l’Agence Juive. Lorsqu’elle finit plus tard par arriver et se fixer en France, sa vocation de toujours, être une écrivaine, pourra se concrétiser. Ses romans vont se peupler de personnages qui tour à tour vont vivre les différentes situations qu’elle a connues et côtoyées lors de sa courte -mais oh combien marquante- existence en Egypte. Les tragédies vont toutes passer et être oubliées. Il ne restera
comme témoin de ceci que le support de la littérature.
Robert Solé, se définit comme issu d’une famille égyptienne catholique syro-libanaise, de culture
française. La langue française représente pour lui une patrie. La guerre de 1956, « la triple et lâche »
(agression) selon la terminologie officielle égyptienne de l’époque n’est ressentie pour le gamin de dix
ans qu’il était, à l’époque, que comme un jeu prolongeant les grandes vacances. Mais le réveil se
révèle douloureux, car la réouverture du lycée franco-égyptien d’Héliopolis qu’il fréquente alors,
montre le vide laissé par les professeurs qui ont été expulsés et un certain nombre de petits camarades,
qui ne sont plus là.
Robert Solé migrera vers un collège de Jésuites, placé opportunément sous la bannière du Saint-Siège.
Mais comme il le dit, « les Juifs partis, nous nous sommes sentis seuls ». Le climat s’alourdit dans les
années 60. Les Juifs avaient été les premières victimes d’un rejet nationaliste. Les différentes
communautés avaient des identités fortes, mais pratiquaient harmonieusement le « vivre ensemble ».
La vague nationaliste balaie ce cosmopolitisme et fait partir tour à tour les étrangers (grecs, italiens,
etc…) non juifs et jusqu’à certaines minorités égyptiennes de confession non-musulmane. Robert Solé
se retrouve en France, avec sa carrière bien connue de journaliste et d’écrivain. Enfin, ce soir, dans
cette assemblée, comme il le dit, « il est en famille ».
Nous avons eu le plaisir de visionner deux clips qui se sont glissés entre les deux tables-rondes. Ils
illustrent de manière festive l’apport culturel des Juifs d’Egypte. Le premier retrace l’épopée des frères
Frenkel, qui abandonnent leur métier d’origine pour se lancer dans la réalisation cinématographique
qu’ils créent tout en la découvrant. Nous verrons avec émotion le premier dessin animé égyptien
« Mich Mich Effendi » travail gigantesque de milliers de dessins assemblés ensuite pour fabriquer ce
cartoon à l’ancienne.
L’autre clip filme une scène tournée dans une cuisine à Marseille où des descendantes de juives
d’Egypte fabriquent des gâteaux selon les recettes héritées de leurs mères. La nourriture est une partie
importante de la transmission de la culture.
Le thème ci-dessus fournit la transition par rapport au buffet qui va nous réunir ensuite, pour boire un
verre et tout en ayant la bouche pleine retrouver connaissances et amis quelques fois perdus de vue et
échanger souvenirs et anecdotes.
Puissions-nous participer au 70ème anniversaire !
Victor Attas

L'ASPCJE en partenariat avec l'AIU célèbrent Dimanche 11 décembre 2016
le 60ème anniversaire de la crise de Suez.

flyer egyptien recto

 

 

Pour vous inscrire à cet après midi vous pouvez le faire en envoyant un mail à Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. ou en téléphonant au 01 55 74 79 10

Vous pouvez aussi passer par le site de l'AIU :www.aiu.org
rubrique : 11 déc 2016 - Les Juifs d’Egypte : histoire et mémoire 60 ans après la crise de Suez (1956-2016)
Vous pouvez également le faire sur le site de l'AIU en cliquant sur le lien :http://www.aiu.org/fr/event/102

Réfugiés d’Égypte arrivant à Marseille, après les événements de Suez, à bord du bateau grec l’Aeolia. Photographie du 4 janvier 1957 aimablement communiquée par les archives « La Provence » Coll. « Le Provençal ».

Pour voir le programme détaillé cliquer sur l'image ci-contre.

 

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